« Octobre 43, De Besançon à Londres,

en passant par l'Espagne...»,  d'après les écrits du


Colonel Roger DEGEN


Besançon, Toulouse, Saléchan, St Béat, Bosost, Lerida, Malaga


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FAUX DÉPART...

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Insigne de l'association des Evadés de France

août 07

Note: Le récit qui suit est la fidèle transcription du témoignage écrit que Monsieur R. DEGEN m'a confié. Textes et photos sont la propriété de R. DEGEN, Colonel de l'Armée de l'Air. Pour tout renseignement, me contacter

Je n'ai eu connaissance de l'appel du 18 juin 1940 qu'un mois et demi plus tard, en écoutant Radio Londres, chez un voisin de mes parents à NEUFCHATEAU

Notre maison avait été pillée après notre départ le 16 juin 1940, peu avant l'arrivée des Allemands et plus de radio à notre retour !


C'est au sud de Moulins que nous avions échoué, à St-Gérand-de-Vaux exactement, après un périple mouvementé sur des routes encombrées et bombardées le plus souvent par l'aviation italienne.


C'est fin juin, après l'armistice, que j'ai vu les "occupants" pour la première fois et je ne l'oublierai jamais : deux jeunes soldats allemands, nu-tête, chemise ouverte sur une vareuse, étaient à l'avant d'une voiture découverte genre "command-car" et dont le capot avant arborait, au bout d'une cordelette rouge, un casque français troué de part en part. Cette vue insupportable me fit un choc, je n'ai pu refouler mes larmes. Je n'avais pas 17 ans à l'époque et je me suis juré à ce moment là, de faire tout mon possible pour que le sol de la patrie soit débarrassé de la présence allemande. C'était bien présomptueux de ma part à l'époque.


Trois années vont s'écouler jusqu'à mon départ : Collège de Neufchâteau 1940-1941, Lycée Victor Hugo à Besançon pour préparer le concours d'entrée à St-Cyr, 1941-1943.


Là, à BESANÇON, je prends une part active à la Résistance, à partir de novembre 1942 : entraînement à l'explosif (plastic, crayons allumeurs ) cordon Pickford, etc.. fabrication de cocktails Molotov dans un fort désaffecté au-dessus de la vallée du Doubs, à Pugey, à l'est de Besançon, distribution du journal clandestin "Défense de la France" recueil de fonds pour l'achat de papier journal, pose de tracts.

Le ciroir, contigu au dortoir des grands (60 élèves) a même abrité durant quelques jours, dans des cartons à chaussures, des obus de mortier de 60 m/m entortillés dans du cordon Pickford. Ces obus de mortiers devaient être utilisés pour trois attentats contre les permanences de L.V.F. (Légion des Volontaires français contre le Bolchevisme) de Francis Bucard, le bureau du S. T. 0. (service du travail obligatoire). Ces actions prévues après le couvre-feu de 23 heures, ont été décommandées le jour même, à 16 h 30 par un message reçu dans la cour de récréation !


Les responsables de la Résistance redoutaient trop de représailles : il y avait déjà eu trop d'otages fusillés.


Je ne peux m'empêcher de dire que j'apprendrai début octobre qu' HENRI FERTET, élève de 1 ère au lycée Victor Hugo, âgé de 16 ans, avait été fusillé malgré les interventions des autorités civiles et religieuses. C'est donc à lui que revient le malheureux privilège d'être le plus jeune fusillé de France et non à Guy Moquet, fils d'un député communiste fusillé à 17 ans avec 38 autres communistes. Cliquez sur le nom d'Henri FERTET pour en savoir plus...

Durant les vacances scolaires de juillet à septembre 1943, à NEUFCHATEAU, tout en effectuant mon service rural dans une ferme des environs (ce qui s'avérera être une excellente mise en condition physique) je suis à la recherche d'une filière pour rejoindre l'ANGLETERRE. Mais il me faut subir la visite du fameux Service du Travail Obligatoire et je suis déclaré bon pour le service en Allemagne.


Courant septembre, j 'effectuerai un périple à bicyclette de près de 450 km qui me mènera à Belfort, Besançon, Beaume-les-Dames où je reprends contact avec ROBERT, un camarade du lycée V. Hugo en 1941, élève ensuite de l'école de Join-ville repliée sur Antibes. Lui aussi, je le sais, est à l'affût d'un "tuyau" pour rejoindre l'Angleterre. Il est entendu que dès que l'un des deux aura trouvé la bonne filière, contact sera pris.

A LANGRES, sur le retour, où je suis hébergé chez des amis de mes parents, je serai brusquement réveillé en pleine nuit, par l'explosion de la poudrière de Langres, le 10 septembre 1943, jour anniversaire de mes 20 ans ! Impression de fin du monde...

Les quatre ou cinq explosions successives n'avaient guère laissé de carreaux intacts et la violence du souffle avait abattu maintes cloisons de certains bâtiments publics dont l'hôpital où les malades avaient dû être évacués vers d'autres hôpitaux distants de 50 kms et plus.

R. Degen et ses camarades au Lycée Victor HUGO de Besançon

Fin août 43, Départ pour Belfort, Beaume les Dames, Besançon, retour par Langres 10/9/43=450 km à vélo.

Après le concours de ST CYR en 1943, organisé malgré la fermeture de l'école, repliée à Aix-en-Provence après juin 1940, j'avais été nommé maître d'internat au lycée Victor Hugo de Besançon et le proviseur me demandait de rejoindre mon poste pour le 14 octobre. En quittant Neufchâteau le 13 octobre 1943, je sais que je ne reverrai pas de si tôt le toit familial. Mon père, au courant de mes intentions, en m'accompagnant à la gare, a du mal à cacher son émotion. Quant à maman qui attend le septième enfant, j'ai préféré ne rien lui dire.


En arrivant à 13 heures à. la gare de BESANÇON, complètement rasée à la suite du bombardement de juillet, j'ai du mal à reconnaître les lieux, tant les abords ont été dévastés.


Entrant au lycée, le concierge qui me reconnaît, me tend un télégramme : Robert annonce son arrivée en gare pour 15 heures, en provenance de Beaume-les-Dames. Je n'ai que le temps de déposer mes bagages et prendre un repas au réfectoire avant de me diriger vers la gare pour accueillir Robert qui m'annonce que c'est demain le grand jour. Rendez-vous est pris le lendemain à 8 heures à la gare où le train venant de Beaume-les-Dames, direction Dijon, poursuivra jusqu'à SALECHAN, dernière gare avant la zone interdite bordant les Pyrénées.

Fin 1943, MADRID

(…) Monsieur LEDEUIL , le surveillant général du Lycée, me prenant à part, me donne une lettre signifiant que je suis affecté au collège de Mouchard, situé de l'autre côté de la ligne qui délimite la zone d'occupation rouge où se trouve Besançon. Cela doit me permettre d'obtenir un laisser-passer auprès de la Kommandantur en cas de contrôle du train entre Besançon et Dôle. Il m'accompagne jusqu'à la Kommandantur mais m'attend sur le trottoir de l'autre côté de la rue où se trouve le bâtiment sur lequel flotte un immense drapeau à croix gammée. A l'entrée, je me dirige vers un bureau où se trouve un Feldwebel assez âgé (à cette époque, les jeunes étaient sur le front russe ou le long du mur de l'Atlantique). Je lui présente la lettre en demandant le laisser-passer.


Après un examen rapide de la lettre, en me pointant du doigt la porte par où j'étais entré, hors de lui, il me lance "Raus, Los, Schnell". Sans demander mon reste, je quitte le bâtiment bien heureux de me retrouver à l'air libre. Je revois le surveillant général tout étonné de me retrouver si vite dehors, mais rassuré aussi... "Espérons qu'il n'y aura pas de contrôle demain" me dit-il et il me donne rendez-vous à 21 heures dans son bureau.

Après le dîner pris au réfectoire avec des collègues, je monte dans ma chambre, (…) Brève correspondance avec mes parents que je rassure du mieux que je peux. La tristesse m'envahit, je n'arrive pas à refouler mes larmes. J'écris aussi à ma soeur Simone que je n'ai pu voir avant mon départ. Mais ma décision est prise, il n'est pas question de renoncer.

Le surveillant général, dont la femme est canadienne anglophone, me donne l'adresse de sa belle-mère, Mrs Kinman, 46 Rawlinson Avenue à Toronto. Cela pourra toujours me servir, me dit-il, au moment où je prends congé de lui pour regagner ma chambre où je vais confectionner ma valise avant de dormir.


Pull-overs, souliers montants pour la montagne, vivres dont 2 kg de sucre, denrée rare, et sac à dos trouveront difficilement place dans une petite valise. Il n'est pas question de revêtir durant le voyage en train, la tenue de montagnard qui s'est avouée fatale pour de nombreux candidats à l'évasion, qui repérés, se sont fait arrêter et ont été conduits via Compiègne, dans les camps de concentration.

Henri FERTET, Compagnon de la Libération

Jeudi 14 octobre à 8 heures,


Je me trouve sur le quai de la gare de Besançon attendant le train venant de Belfort et se dirigeant sur Dijon. Apercevant Robert à la portière je rejoins son compartiment bondé, alors que les wagons réservés aux Allemands, toujours beaucoup plus nombreux que ceux des Français, sont pratiquement vides : beaucoup de soldats allemands sur les quais. Le temps est splendide, une belle journée d'automne. Avec Robert, pas d'échange de paroles, nous faisons semblant de ne pas nous connaître. Peu avant Dôle, inquiétude, nous entendons les portières s'ouvrir dans les compartiments voisins,  c'est le contrôle redouté. Surprise, ce sont des Italiens, des Bersagliari dans une tenue vert olive avec leur plume au chapeau. Ils ne sont pas du côté du maréchal Badoglio qui, pour l'Italie, a signé un armistice avec les Alliés en juillet 1943... sinon ils ne seraient pas ici. Pas de remarques sur les papiers que nous devons fournir. Arrivé sans encombres à Dijon, je cherche dans la salle d'attente si deux camarades de Neufchateau volontaires pour l'évasion au moment où je cherchais une filière, Jean B. et Jean D. et à qui j'avais envoyé un télégramme, sont arrivés. Personne, peut-être me rejoindront-ils plus loin à Saléchan.


Mais aucun de ces camarades ne viendra me rejoindre.

C'est à SALECHAN que Jean, une connaissance rencontrée deux mois plut tôt par Robert à Besançon, doit nous rejoindre à proximité de la gare pour nous mener en ESPAGNE. Signe de ralliement, un air bien connu à l'époque, un succès "la Romance de Paris". Entre DIJON et LYON, il y a un instant critique à passer, le franchissement de l'ancienne ligne de démarcation en gare de Chalon sur Saône. Beaucoup de remue-ménage sur le quai, nombreux miliciens vêtus de noir et coiffés du béret, tous armés, volontaires de la L.V.F. (Légion des volontaires français contre le bolchevisme) avec le "pot de chambre" allemand sur la tête et un écusson bleu blanc rouge sur le côté du bras droit à la hauteur de l'épaule et quelques Feldgendarmes allemands avec la plaque et la chaîne caractéristique autour du cou.

Lycée Victor Hugo, cérémonie du 2 décembre 1943, Anniversaire de la Victoire d'Austerlitz (2/12/1805)

Ces derniers vont-ils monter dans le train pour le contrôle ? Nous esquissons déjà un mouvement pour préparer une sortie discrète à contre-voie. Mais, par chance, le train ne sera pas contrôlé. Ouf ! quel soulagement ! Nous poursuivons sans problèmes jusqu'à LYON et TARASCON, où nous devons prendre la correspondance pour Toulouse.


A TARASCON, où nous arrivons alors que la nuit est bien avancée, la gare nous semble bizarre, les voies se croisent à angle droit...

Une brise chaude nous caresse le visage, nous sommes dans le Midi et c'est sur le quai bondé de voyageurs que j'entends pour la première fois, "1'assent" du Midi. A coup de trompe, le train pour Toulouse est annoncé. Il est surchargé ; comment allons-nous trouver une place? Dans les couloirs, il faut jouer des coudes, on escalade les valises sans doute bourrées de ravitaillement, car les odeurs de légumes surchauffés mêlées aux senteurs d'ail nous montent à la tête. Nous ferons le voyage debout jusqu'à TOULOUSE où nous arrivons à 3 h 30 du matin.

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