RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943


Des Rives de la Garonne à la Méditerranée

Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945

Jean et moi prenons la tête pour tracer un passage dans la neige. Au bout d'un certain temps, Josette essaye de reprendre seule la marche mais peu après, tombe une seconde fois, transie de froid. Le passeur la porte à nouveau et la montée reprend. Les sommets se succèdent et force nous est de constater que les guides eux-mêmes ne savent plus très bien où nous nous trouvons exactement. Nous faisons des efforts à la limite de nos forces pour avancer sous le vent et la neige mais notre moral s'est bien détérioré et l'angoisse,  peu à peu,  commence à nous gagner.


Vers 13  heures, la mère de Josette, à son tour, montre des signes d'extrême fatigue. Deux camarades la soutiennent et l'aident à marcher. Soudain ses souliers se déchaussent et il nous est impossible de les lui remettre tellement ses pieds sont enflés. Elle reprend cependant la marche mais ses bas de rayonne sont vite "brûlés" par la neige et c'est pieds nus à présent qu'elle poursuit son chemin. Sa fille ne peut plus avancer. Elle pleure et grelotte. Nouvel arrêt. Nouveau départ. Maintenant nos visages n'expriment plus que tristesse et désespoir.


De deux ans mon aîné, mon camarade Jean doit à sa vigueur de passer en tête pour pratiquer la trace, entreprise épuisante, la neige atteignant à présent un mètre. Enfin, le plus haut sommet, le pic du Burat, est atteint et la descente particulièrement périlleuse, commence.


Soudain, exténuée, la mère de Josette tombe. Nous restons cinq, dont son mari et sa fille,  auprès d'elle. Les autres continuent pensant que nous ne tarderons pas à les rejoindre. Mais vingt minutes environ s'écoulent avant que la malheureuse, qui vit un véritable calvaire, soit en mesure de reprendre la marche. Sa fille à qui je réchauffe les mains et que j'encourage, semble à présent bien remise. Sa mère, par contre, ne peut aller très loin et s'écroule une nouvelle fois. Nous tentons de la relever afin de la porter mais dans un souffle elle nous implore: " Ce n'est plus la peine que vous restiez. Je suis à bout. Laissez-moi et partez ! " Bien évidemment nous n'en faisons rien et soulevons la pauvre femme à demie inconsciente que nous sommes pratiquement contraints de traîner. Une vingtaine de minutes plus tard cependant elle reprendra quelques forces. Hélas, il s'est bien écoulé une heure depuis que le premier groupe nous a devancé et la neige qui ne cesse de tomber a recouvert toute trace. C'est donc approximativement, dans la direction où nous les avons vu disparaître, que nous dirigeons nos pas. Ce n'est qu'une heure plus tard et alors que nous ne pensions plus les revoir, que nous entendons des voix mêlées de pleurs de femme. Pressant le pas nous rejoignons bientôt le premier groupe que nous trouvons figé sur place, arrêté par un amoncellement de rochers obstruant le passage. C'est la consternation! Les guides, désemparés, envisagent même un instant de rebrousser chemin ce qu'unanimement nous refusons. La situation me paraissant alors désespérée, je détruis ma carte d'identité afin de ne pas révéler mon véritable nom, pour protéger ma famille, en cas d'arrestation par les allemands. Quelques jours plus tard, je devais regretter d'avoir détruit ce document !


Après un assez long moment de découragement et d'indécision, un de nos camarades, au péril de sa vie, tente une percée à travers ces rocs surplombant un effroyable abîme. A la surprise générale, il réussit à se faufiler entre les blocs gelés et glissants. Nous le suivons inconscients du danger et cheminons au dessus du précipice où, pourtant, le moindre faux pas peut nous être fatal. Puis nous nous trouvons tout à coup, devant une excavation dont la paroi verticale semble infranchissable. Nouvelle attente ! Nouvelle angoisse ! BORDES, après avoir exploré les lieux prend les devants et nous dit de le suivre en prenant les plus grandes précautions car le passage est extrêmement dangereux. Il ajoute que de toute façon il n'y a pas d'autre alternative si nous voulons conserver une chance de nous en sortir. A bout de forces Jean et moi, suivis de quelques autres, nous nous engageons dans son sillage. Les moins fatigués restent auprès des femmes et de Josette pour les aider dans cette vertigineuse descente.


C'est bien le parcours le plus périlleux que nous ayons eu à pratiquer jusque là. Parfois nous sommes suspendus au dessus du vide, simplement accrochés à un bout de glace ou à une touffe d'herbe fébrilement recherchée sous la neige. Soudain Jean glisse et je crie à ceux qui sont plus bas d'essayer de l'arrêter. Par bonheur, son sac à dos s'accroche à une aspérité rocheuse et stoppe sa chute. Quelle frayeur!  Nous venons de vivre un quart d'heure de véritable cauchemar!


Les trois femmes et la fillette, en robes légères, chaussures basses, espadrilles même pour l'une d'elles, bas de rayonne,  ne sont nullement équipées pour une telle randonnée.

Tout à coup, Josette, la jeune fille, se met à pleurer et à se plaindre du froid. Elle a fait preuve jusque là de beaucoup de courage mais est trop peu vêtue pour affronter une telle température. Finalement elle s'effondre, évanouie, dans la neige. Un docteur se trouvant heureusement parmi nous, la ranime et lui donne une culotte de ski dont il a eu la sage précaution de se munir.

Une demi-heure après environ, BORDES prend la fillette dans ses bras et nous repartons. Nous ne sentons plus nos mains ni nos pieds et sommes complètement frigorifiés.

Enfin le passeur, toujours à l'avant, nous apprend qu'il a entendu des voix et que nous approchons de la vallée. Un sourire éclaire enfin nos pauvres visages qui n'ont plus grand chose d'humain. Notre joie est grande mais demeure silencieuse car nous ne sommes pas au bout de nos peines. Et surtout,  il y a ceux que nous avons laissé dernière nous.  S'en sortiront-ils tous ?


Avec Jean nous marchons maintenant côte à côte. Nous nous sentons plus solidaires, plus proches l'un de l'autre, plus ami encore.


Nous sommes à présent en Espagne mais où et quand exactement avons nous franchi la frontière, située à un kilomètre environ, à vol d'oiseau, au sud-est du pic de Burat ? Assurément  peu après le passage de ce dernier. Nous ne pourrons jamais le définir avant précision.

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Paul MIFSUD,

La frontière

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de Robert LEON, mon père

Paulette DUFFOIR et sa fille Josette

Jeanne ROBERT, dont la coiffure permit de dissimuler une bonne liasse de billets !...

Maurice RENDIER,  Capitaine Martin RENDIER, alias Albert. Member of the British Empire à titre militaire.

Pierre DUFFOIR, alias Félix, époux de Paulette et père de Josette.