RECIT TÉMOIGNAGE DE PAUL MIFSUD Évadé de France en 1943


Des Rives de la Garonne à la Méditerranée

Journal de guerre d'un marin du Torpilleur « Tempête » 1943--1945

LERIDA - "El Seminario viejo".


Après trois jours employés à découvrir la petite cité de Sort, nous sommes embarqués, le 9 novembre à 9 heures dans des véhicules de police, destination Lérida, ville assez importante située à 137 kms. A notre arrivée à 14 heures, nous sommes enfermés à la Préfecture jusqu'à 18 h 30 sans la moindre nourriture ni boisson. Nous y subissons un nouvel interrogatoire, bien plus serré que les précédents et au cours duquel, nos empreintes digitales sont relevées. C'est là aussi que nous apprenons que seuls, les hommes âgés de 20 à 40 ans sont incarcérés. Jean qui a plus de 20 ans tente de se rajeunir et en déclare 19. Quant à moi je persiste à donner mon âge réel, 18 ans et demi, hélas en pure perte et nous nous retrouvons tous deux, à 19 heures, "pensionnaires" de la prison " El seminario viejo ". Je regrette alors amèrement d'avoir détruit ma carte d'identité dans les Pyrénées. Nos deux camarades d'enfance, âgés de 19 ans mais toujours en possession de leur carte d'identité, ne sont pas internés.


Dès notre arrivée dans cette infâme prison nos cheveux sont coupés à ras. En guise d'assiette on nous octroie une vieille boîte de conserve rouillée. Ni fourchette ni cuillère. Quelques jours plus tard cependant nous pouvons acheter à la cantine, une cuillère en bois. Les repas sont invariablement composés d'un brouet d'eau et de choux, agrémenté de moucherons, de larves et insectes divers, même une fois, d'une punaise ! Heureusement nous pouvons de temps à autre nous offrir à la cantine ci-dessus, quelques figues sèches pour quelques pesetas.

Le dortoir où, en ce mois de novembre, règne un froid glacial, est immense. Ses murs sont entièrement tachetés de sang de punaises qui y ont été écrasées. Pour tout couchage nous disposons, posée à même le sol constitué de dalles de pierre, d'une paillasse, noire de crasse, tachée de sang de punaises dont nous sommes envahis la nuit.

Les journées se déroulent selon un rythme immuable :


-   6 h 00 - Réveil au son du clairon.

-   6 h 30 - Ouverture des portes et rassemblement dans la cour interne, les prisonniers espagnols en rang d'un côté, les évadés de France de l'autre. Là,  nous subissons l'hymne national espagnol,  interprété également au clairon. Seuls,  les prisonniers espagnols doivent alors effectuer le salut franquiste,  bras tendu à l'hitlérienne et répéter après le chef de la prison et à trois reprises : " Arriba españa - viva Franco " . Pendant ce cérémonial nous devons simplement nous découvrir. C'est après seulement que nous avons droit à un infect breuvage qui a toutefois le mérite d'être chaud. Nous avons ensuite jusqu'à 7 heures pour effectuer, toujours dans la cour et à l'eau glacée, notre toilette.

-   7 h 00 - Retour à l'intérieur. Fermeture des portes

- 10 h 00 - Réouverture des portes et promenade dans la cour.

- 11 h 00 - Déjeuner, invariablement composé d'eau, de choux et d'insectes, à l'issue duquel

  nous sommes à nouveau  enfermés.

- 16 h 00 - Sortie promenade au cours de laquelle se renouvelle la cérémonie du matin.

- 17 h 00 - Dîner. Encore soupe à base des incontournables choux et de leurs " ingrédients "


Et c'est ensuite le retour au dortoir et la fermeture des portes qui ne s'ouvriront plus que le lendemain matin. Les lumières restent allumées toute la nuit. Tous les quart d'heure, les sentinelles, nombreuses, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, s'interpellent en criant : " alerto à la uno, alerto à la dos, alerto à la tres... et ainsi de suite de sorte qu'il est bien difficile de dormir.


Au cours de mon incarcération, j'adresse une lettre au consulat anglais à Barcelone afin de solliciter une intervention de sa part auprès des autorités espagnoles, pour ma libération de cette abominable prison, en raison de mon âge.

Le « seminario viejo » de Lleida. Photos transmises par L'Institud Llerdencs de Lleida.

Nos camarades de St-Martory, viennent nous rendre visite tous les jours ce qui nous est d'un grand réconfort. Nous avons droit à quinze minutes de parloir. Séparés par deux rangés d'épais barreaux, nous sommes pourtant étroitement surveillés par les gardiens comme si nous étions de dangereux criminels. A 18 ans, élevé à la campagne et en toute liberté dans mon petit coin du sud-ouest,  je ressens de tels traitements avec beaucoup d'affliction.


Nous avons aussi, régulièrement, la visite de notre camarade CARTOUZOU, qui n'est resté que 4 à 5 jours en prison. Il nous fait parvenir tous les jours un sandwich  qui  nous aide à calmer la faim qui nous tenaille.

C'est par lui que j'apprends, le 27 novembre, que je vais être prochainement libéré. Enfin une bonne nouvelle.

Le 29 en effet, à 17 heures, je suis remis en liberté après intervention du consulat anglais de Barcelone. Ma joie est immense mais j'ai beaucoup de peine à me séparer de mes bons amis, Jean GAUBERT et Eugène MOUGIN.


Le délégué du consulat anglais à Lérida, m'accueille à la sortie du tristement célèbre "Seminario viejo" et me conduit à l'hôtel "Internation". En cours de route je rencontre deux des trois couples et la fillette Josette ayant effectué la traversée des Pyrénées avec nous, puis mon généreux ami CARTOUZOU qui m'embrasse fraternellement. Un peu plus tard ce sont les deux Louis Saint-Martoryens que je retrouve. Cette fois il n'y a pas de barreaux et nous nous embrassons amicalement.


Profondément déprimé après 20 jours de détention, j'ai vraiment du mal à réaliser que je suis sorti de cet enfer. Ce retour à la liberté est aussi pour moi un retour à la vie.

La soirée à l'hôtel est un enchantement. Est-ce bien moi, installé à une table fleurie, recouverte d'une nappe immaculée, savourant un délicieux repas servi par des garçons en habit, dans de belles assiettes en porcelaine ? Quel contraste !


Une seule ombre cependant à tout ce faste. J'apprends que je pars le lendemain à 5 heures pour Barcelone. En raison de l'heure matinale de départ, je ne pourrais pas prendre congé de mes amis. Le soir, dans le lit moelleux d'une chambre luxueuse, j'essaie d'oublier tout ce que je viens d'endurer.

Paul MIFSUD,

BARCELONE

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de Robert LEON, mon père

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