A. LEMAIRE à SUEZ--1956

Hommage au L.V. Antoine LANCRENON

« Est-il encore utile de rappeler qu'au-delà de la deuxième guerre mondiale qui vit quelque 9000 des nôtres tomber au champ d'honneur, à nouveau, Evadés de France et Français Libres tombèrent dans les conflits qui suivirent.


Qu'il me soit donc permis d'évoquer ici, dans le cadre du  Porte-avions ''Arromanches'' engagé dans la guerre de Suez, le souvenir de l'un d'entre eux, le Lieutenant de Vaisseau  Antoine Lancrenon, Evadé de France par l'Espagne, promotion Ecole Navale Casablanca 1943, pilote de Corsair, abattu avec son appareil lors de l'attaque de l'aérodrome du Caire-Almaza le 3 Novembre 1956. Nul n'a jamais su ni pu savoir quel fût son destin après le crash. De tous temps les égyptiens sont restés obstinément muets mais quelques rumeurs ont pu laisser penser que, pris vivant, il fût promené sur un camion et lynché à mort par la foule. Une fin épouvantable.


J'entretenais avec lui une amitié profonde, liée en 1943 pendant les quelques mois que j'ai passés à l'Ecole Navale après mon évasion de France et entretenue au cours d'une carrière qui nous avait tous deux conduits vers l'aviation embarquée. Au sol comme en vol- les jours où le hasard nous retrouvait sur une même fréquence- il avait, comment ne pas s'en souvenir, cette inimitable façon de m'accueillir ou de signaler sa présence : le gazouillis de Donald le canard face à l'imprévu. Sur un même Porte-avions la guerre nous réunissait à nouveau. »   


« Route sur Suez, l'Arromanches est commandée par le Capitaine de Vaisseau Philippon. Il commande son Porte-avions avec une approche profondément humaine du personnel et je garde à l'esprit deux anecdotes typiques de sa façon d'être. Ses propres souvenirs, tout d'abord, qu'il nous permit  un jour de partager en nous ramenant à l'époque où démobilisé mais tout aussitôt engagé comme jardinier civil dans l'arsenal de Brest aux temps de l'occupation, il fit passer à Londres sous le nom de code d'Hilarion de multiples et précieux renseignements concernant l'activité navale des allemands, tout particulièrement celles du Sharnhorst et du Gneisenau ; de l'émouvante conférence qu'il nous en fit nous sortîmes bouleversés.


Et puis cet autre souvenir :  pendant son commandement,  l'un de  nos avions catapulté de l'Arromanches par nuit noire vient, manche bloqué, à percuter la mer dans la minute qui suit ;  le volant occupant le poste arrière, comme tellement d'entre nous à l'époque, y laisse la vie et coule avec l'appareil. Dans la nuit même une messe est dite sur la plage arrière ; le moral est bas. Le lendemain au premier catapultage de nuit, au poste arrière du premier appareil catapulté, un passager : le Capitaine de Vaisseau Philippon.  Admiratif et reconnaissant, le moral remonte. »

« Pour la campagne de Suez, deux  Flottilles ont été embarquées : l'une de F4U7 Corsairs, la 14F, commandée par le lieutenant de Vaisseau Cremer, promotion Grande Bretagne 1943, son officier en second étant le Lieutenant de Vaisseau Lancrenon, l'autre de TBM Avenger, la 9F, commandée par le Lieutenant de Vaisseau Bros, évadé de France, promotion Casablanca 1943, officier en second moi-même. Le chef du pont d'envol est le Lieutenant de Vaisseau Drouin, ancien commandant de la 9F, promotion Grande Bretagne 1942, fonceur, tout d'une pièce, solide en amitié. Les liens que j'entretiens avec Lancrenon sont aussi forts que ceux que j'entretiens avec Bros et Drouin. » 





« L'Arromanches a appareillé de Toulon le 22 Octobre, ramassé à la mer ses deux flottilles et, intégrée à la force navale qui vient d'être constituée, fait route vers Suez. Le 30 Octobre, au large du golfe de Syrte, nous croisons une partie de la 6ème Flotte US qui, route à l'ouest nous recherche, nous intercepte, nous suit et ne nous lâchera plus. Pendant toutes les opérations, coups de périscopes inattendus et inquiétants, attaques simulées de leurs appareils embarqués sur nos propres patrouilles, escorte à la mer, voire amarrage à quai de leurs destroyers sur des navires égyptiens ne cesseront guère, gênant et parfois interdisant toute attaque de notre part. »




« Les deux premières patrouilles de TBM pour protection ASM et reconnaissance sont lancées en fin de nuit le 31 Octobre : Lieutenant de vaisseau Bros, Sapho 27 pour l'une, moi-même, Sapho 26 pour l'autre. Le Capitaine de Vaisseau Philippon, au cours du briefing, toujours soucieux de nos vies, nous met en garde : un appareil anglais de reconnaissance a été abattu la veille. Au moment où dans les haut-parleurs résonne ''Equipages aux avions'', l'officier IRPHO surgit essoufflé en salle d'alerte, porteur d'un message de l'Amiral dont la marque flotte sur l'Arromanches. Le message dit ''Pour les équipages de Sapho 27 et Sapho 26, Accomplissez votre mission et que Dieu vous garde''. Munis de ce viatique nous sommes catapultés à 05 heures 50 dans les premières lueurs d'une aube encore obscure…. » 

NOTA: La crise du canal de Suez, est une guerre qui éclata en 1956 en territoire égyptien. Le conflit éclata entre l'Égypte et une alliance formée par le Royaume-Uni, la France et l'État d'Israël, suite à la nationalisation du canal de Suez par l'Égypte

Source: wikipedia

Crise du Canal de Suez

Le porte-avions « Arromanches »

(1946-1973)

CV Philippon--LV Lemaire   (Photos prises antérieurement, le 11 Mai 1956, au cours du retour à bord du LV Lemaire récupéré par hélicoptère après un amerrissage forcé au large de la Sardaigne) (photo A. Lemaire)

Source: wikipedia

Crise du canal de Suez

CORSAIR F4U-7

A. Lemaire dans le cockpit de son Avenger TBM

(photo A. Lemaire)

Lieutenant de Vaisseau LANCRENON

(Photo A. Lemaire)

LV Bros--LV Lemaire--LV Drouin

(Photo A. Lemaire)

« Tandis que les Corsairs sont utilisés, d'abord en reconnaissance/attaque à la mer, puis en bombardement/ appui feu et font un travail remarquable au profit des troupes au sol, me voici à nouveau en l'air le 1er Novembre sous l'indicatif Sapho 17 pour une mission de reconnaissance. Je pilote le TBM3W muni du radar, mon sectionnaire sur TBM3S emporte les armes. Son pilote est le Second Maître Fourgault, fonceur, spontané, aussi apte à terminer un atterrissage sur le ventre parce qu'en fin de course il a rentré le train au lieu de rentrer les volets qu'à se porter volontaire pour toutes missions importantes qui se présentent ; bref, j'aime bien.



Sur écho radar détecté à 07heures37 je l'envoie identifier : nos ordres nous laissent libres d'attaquer sous marins et petits bâtiments de surface du type vedettes rapides. Approchant à basse altitude, Fourgault détecte au loin un point sur l'horizon qu'il classe ''Petit bâtiment'',  point qui dans son collimateur n'en finit pas de grossir jusqu'à devenir la frégate égyptienne Tarik….qu'il attaque sous un feu nourri de DCA. Ses roquettes ASM et les mitrailleuses de plan font but mais les grenades sous marines, larguées probablement trop bas, n'explosent pas. De mon côté, à l'énoncé de l'identification puis de l'attaque j'ai fait route sur l'objectif et je rallie Fourgault encore en vue de celui-ci : un panache de fumée se dégage de la plage arrière. »

« A peine en section et à la route nord qui nous rapproche de la force navale, l'Arromanches nous signale un écho aérien classé hostile qui venant du sud se rapproche de nous. Nous plongeons en vol rasant accompagné de ''breaks en cisaille'', manœuvre qui devrait rendre plus difficile un tir ennemi.

Au moment où sur les écrans de l'Arromanches notre propre écho se confond avec celui de l'écho hostile, subitement alors que je suis en virage une longue traînée zèbre la mer un peu à l'écart de mon plan gauche : rafale de mitrailleuse ou simples tourbillons  provoqués par le souffle de mon hélice ? Nous volons décidément très bas…… Puis les deux échos se séparent, l'hostile repart vers le sud et nous recevons de l'Arromanches, dont le pont d'envol est engagé et ne peut nous recevoir, l'ordre de poursuivre en patrouille ASM.  Nous appontons finalement à 10 heures 20 après 4 heures 36 de vol …..et entrons dans l'histoire sous le nom de : ''La patrouille Kamikaze''. » 

« Vient le 3 Novembre, jour du bombardement par les Corsairs du terrain du Caire. La veille, Lancrenon et moi avons passé une grande partie de la soirée à bavarder, accoudés à une plate-forme d'artillerie tandis que le Porte avions trace sa route dans un sillage lumineux.

Silence et nuit calme, une infinité de souvenirs partagés, des états d'âme, des préoccupations du moment, bref ce quelque chose qui à bâtons rompus soude tellement fort les amitiés. Le lendemain, alors que mon TBM est présenté sur catapulte, celle ci se déclare indisponible.

Pendant que l'on me repousse vers l'îlot la catapulte repasse au vert et le Corsair de Lancrenon qui prend son tour au  catapultage me double par bâbord. Nos regards se croisent, je devine sur les lèvres de Lancrenon le gazouillis de Donald pendant qu'un salut de la main accompagné d'un large sourire me cueille au passage.


J'ai toujours et aurai toujours dans les yeux ce sourire, sourire d'un camarade, presque un frère, dernier sourire d'un être vivant voué dans les minutes qui vont suivre à un destin terrifiant. »


André Lemaire           

                                         

Capitaine de Vaisseau

TBM Avenger en formation

POUR EN SAVOIR PLUS sur le Porte-avions « Arromanches » ou sur les avions engagés à SUEZ, consulter

« Les Corsair de la Royale », sur aerostories.free et le porte-avions sur aeronavale.free


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A. LEMAIRE, Evadé de France en 1943: récit

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A. LEMAIRE à bord d'un TBM Avenger 1956 (photo A. Lemaire)

Officier d'appontage en 1955 sur le Porte-avions « Lafayette ». (Photo A. Lemaire)