Note: Le récit qui suit est la fidèle transcription du témoignage écrit de Monsieur C.J. RUVIELLA. Le texte et des photos m'ont été gracieusement transmis par son fils J-C. Ruviella, afin de perpétuer la mémoire de ces Français « indociles » qui prirent la folle décision de s'évader de la France occupée pour rejoindre la France Combattante en Afrique du Nord, en 1943, c'est-à-dire avant les débarquements alliés.
Textes et photos restent la propriété de J-C. RUVIELLA

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Suite: Camp de Concentration de MIRANDA DE EBRO
Ecrit par Christian Jean RUVIELLA vers 1968

« La surveillance du camp était faite par l'armée. Autour du camp une murette de 1m50 plus des barbelés sur 1m50 environ. Tous les 50 m il y avait une guérite en pierre à calotte ronde comme certains puits couverts en campagne et dans chaque guérite un soldat en arme et munitions.
A deux reprises, pour une évasion que je n'ai pas vue et un commando de nuit sur les cuisines pour des pommes de terres, les balles « volaient bas » autour des cuisines. Heureusement pas de mort ni de blessés. La nuit pour se tenir en éveil, chaque garde, chacun à son tour [criait] à l'autre « Alerta », et toutes les nuits -hiver ou été- nous entendions nos oiseaux de nuit pousser leurs cris de neuf heures à six heures.

Dans le camp trois officiers s'occupaient de l'ordre !! Le plus connu était « œil de Moscou ». C'était celui que l'on voyait le plus dans le camp, casquette, et sur les yeux des lunettes noires avec pare-soleil sur les côtés. Il devait avoir les yeux malades. Les officiers ne venaient dans le camp avec de la troupe que pour les coups durs : tentative d'évasion, bagarre, grève. Il y eut une fois une grève de la faim. Nous voulions une amélioration de l'ordinaire et des départs plus justes !
C'est à dire que nous désirions voir partir les plus anciens car les départs se faisaient de façon pas très logique. Pour mon compte j'ai essayé de me faire passer comme prisonnier de guerre, alors que ce n'était pas [le cas]; car il était dit (?) que les prisonniers de guerre avaient la priorité. Total, je suis parti quand on a bien voulu m'expédier et sans que l'on s'occupe des listes faites dans le camp.

Le plus dur pour le service de surveillance, c'était de faire lever tout le camp le matin à 8h00, de visiter les baraques pour voir s'il n'y avait pas de resquilleur et de rassembler tout le monde sur la grande place de la « bandera » pour le salut aux couleurs. Sonnerie, garde à vous, salut la main tendue pendant l'hymne. Après nous étions libres de retourner à nos baraques, nettoyage etc…
La vie commençait dans le camp. »

« Bientôt midi » à MIRANDA de EBRO

« Le camp de Miranda avait une vie intense, tout le monde même jusqu'au plus modeste, a animé soit par ses connaissances intellectuelles, pratiques ou sportives notre ambiance de chaque jour.

L'après midi de 16h00 à 18h00 il y avait des conférences faites par des professeurs, évadés comme nous. Ou s'ils n'étaient pas professeurs c'étaient des gens d'une érudition remarquable qui nous traitaient des sujets divers. Matin et soir il y avait des cours, langues étrangères : (Allemand, Anglais, Espagnol), des cours de Maths, un cercle de bridge, des cours de Français. Il y avait aussi des cours de dessin.

Il y avait un petit groupe du genre Action Catholique, la bible était enseignée par un pasteur ou un catéchiste protestant.

Un jeune chaudronnier fabriquait avec des boites de conserves des services à thé, de véritable œuvres d'art. Un ami de Bordeaux que j'ai retrouvé dans le camp avec qui j'avais été en classe, s'était spécialisé dans les Cartes Postales qu'il vendait à raison d'une peseta pièce. Ces cartes représentaient la vie dans le camp. Si j'avais été riche j'aurais été heureux d'en posséder quelques unes, mais hélas...
Il y avait des cours de boxe et des championnats et il y avait rarement « bluff » dans les rencontres.
A côté de la vie intellectuelle, artisanale et sportive il y avait les évènements. »

Le Camp de Mirande, Source: site France-libre.net

« Le camp tout entier était un véritable marché. Tout pouvait se vendre: des chaussures, des cigarettes, des boites de conserves de la Croix Rouge, des vêtements, des oranges, des cigarettes reconditionnées (mélange de tabac espagnol, tabac bon marché et mégots de cigarettes américaines).

Il y avait dans la baraque numéro 11 les « extraperlistes », c'est à dire des commerçants qui faisaient du marché noir (en espagnol « estraperle » = marché illicite). Là, il y avait de tout : bar avec des produits espagnols. Si mes souvenirs sont bons , il y avait apéritifs ou liqueurs, chocolat au lait chaud avec des gâteaux, restaurant avec viande. Souvent, passant à côté de cette baraque qui exhalait des odeurs sympathiques, je sentais mes genoux fléchir, moi qui avais toujours faim.

Cette baraque continua son commerce deux mois après mon arrivée au camp. Puis un matin, officier, hommes en armes firent irruption dans la baraque et en moins de trente minutes tout le matériel et personnel était dehors. Depuis ce jour là, la baraque n°11 ne fut plus célèbre. Tout le monde fut disséminé dans le camp et moi même j'atterris sur l'étagère n°4 avec mes quatre amis de la baraque n°2. Le commerce ne se perdit pas pour autant, il reprit ailleurs, mais plus généralisé dans les 27 ou 28 baraques. »

« La plus grande misère pour nous, dans le camp, fut sans conteste le manque d'hygiène. La première cause : le manque d'eau. Les porteurs de germes, aux cuisines : les rats.

Dans les baraques, les punaises et les poux. Par les belles journées du mois de juillet ou d'août, on pouvait voir à l'extérieur des baraques sur le mur passé à la chaux, les punaises par milliers prendre leur bain de soleil, et tout autour des baraques quand il nous était possible d'avoir un balai nous faisions notre massacre. Ou …  pour les poux, le soir en nous couchant nous mettions une serviette entre la couverture de sol et la peau une chemise pliée en 3 ou 4. Pour que marche ce piège il fallait coucher nu. Celui restait habillé ne pouvait jamais attraper tous les poux qui l'habitaient.

Au  bout d'un mois de captivité nous avions tous la gale et presque tous la dysenterie ou « Mirandite ». Pour pouvoir être évacué sur un hôpital il fallait être à la mort. Les soins dans le camp étaient inexistants. Nous avons, malgré tout, eu une piqûre, le triple associé, comme dans l'armée Française, à la différence que nous l'avons eu en une seule fois ! Pendant trois jours l'on a cru que tout le monde allait passer l'arme à gauche. Malgré un bras presque paralysé par la piqûre, il fallait, malgré tout, que j'aille cinq ou six fois aux wc jour et nuit. Je m'en rappelle comme d'un supplice. »

« Avec le recul du temps, je considère maintenant Miranda comme une petite Europe  où étaient représentées toutes les classes de la société avec leurs caractères très différents.

Les uns très calmes et réfléchis, les autres vifs exubérants « parlant avec les mains », les uns serviables, les autres personnels, les uns efficaces dans la moindre circonstance, les autres présents mais ne pouvant être d'aucun poids dans cette société. »

C.J. RUVIELLA 1968

A gauche, Christian Jean RUVIELLA à Marseille, août 1944, près du conducteur de son char « St Malo », 2e Cuirassiers, 1e DB (photo JC Ruviella)

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