Note: Le récit qui suit est la fidèle transcription du témoignage écrit de Monsieur C.J. RUVIELLA. Le texte et des photos m'ont été gracieusement transmis par son fils J-C. Ruviella, afin de perpétuer la mémoire de ces Français « indociles » qui prirent la folle décision de s'évader de la France occupée pour rejoindre la France Combattante en Afrique du Nord, en 1943, c'est-à-dire avant les débarquements alliés.
Textes et photos restent la propriété de J-C. RUVIELLA
Pour toute question sur ce site, me contacter.

Camp de Concentration de


MIRANDA DE EBRO



Ecrit par Christian Jean RUVIELLA vers 1968

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« Plus de 32 langues ! dit-on.

Dans le camp, à quelques dizaines près, nous sommes passés à une douzaine de mille entassés dans des baraques « à étagères » 4 par 4.

4 sur l'étagère 4 en dessous. 2 couvertures, deux repas par jour la « perolle ». Haricots rouges, légumes secs, une louche par homme. J'avais 21 ans... J'aurais volontiers mangé le double de ma ration, mais hélas … De plus c'était une cuisine pour grosse administration pénitentiaire !.
Mais chose extraordinaire, tous cherchaient le rabiot s'il y en avait, alors que dans l'armée, où beaucoup de nous étaient avant de passer en Espagne, nous avions bien mieux et tout le monde se plaignait de la mauvaise cuisine…

Tous les mois nous touchions des colis de la Croix Rouge Américaine - je veux bien croire que nous touchions ces colis dans leur intégralité ? :

  • ½ boite de flocons d'avoine,
  • 1 livre de farine, 1 cuiller de sucre en mélasse,
  • ½ boite de corned beef,
  • 12 cigarettes,
  • et quelques bricoles

A la distribution c'était un véritable marché d'échange. Tous les jours nous touchions un pain avec la « perolle » de midi. Beaucoup gardaient leur pain pour l'échanger contre des cigarettes. Pour mon compte j'échange mes cigarettes contre du pain. Le soir, sur « l'avenue des Anglais » c'était au plus rapide pour ramasser les mégots. Il y avait dans le camp un commerce de mégots reconditionnés, mélangé avec du tabac Espagnol.

Un à côté précieux [dans] les colis de la Croix Rouge étaient les boites métalliques de conserve qui servaient à la fabrication des tuyaux de poêle dans chaque baraque, chaque étagère et sous sol étant muni d'un poêle fabrication locale. L'on prenait le bois aux poutres de la toiture avec un couteau ou tout autre instrument tranchant, j'ai vu des endroits ou il manquait une poutre ou deux [ou bien]  réduites de moitié.
Sur nos fourneaux en boite de conserves, nous fabriquions des crêpes !! avec de la farine et le peu de sucre que nous avions. C'était notre cuisine des grand jours. Le jour des colis Américains. »

« La bourse aux nouvelles au Pont des Soupirs »

« Le coiffeur » Miranda de Ebro.

« Les plus lointains (en Europe) étaient Roumains, Polonais, Tchèques, Allemands, Anglais, Belges, Lettons.
Parmi les figures typiques du camp il y en avait trois très connus, des anciens des Brigades Internationales. Un noir Américain Kuchpy, un chinois, Cheng, et un Roumain. [Il y avait aussi] «la belle hollandaise » un évadé venu de Hollande et qui était sous la protection de ces « messieurs ».
[Venus d'] assez loin dans le monde : Japonais, Américains, Canadiens, etc…

Parmi les Français il y avait surtout des Basques. Il y avait dans le camp au moins 3 baraques de Basques qui avaient leur shérif en la personne de « six-sous » l'aîné d'une famille de six garçons, passeur à la frontière et par la suite passé en Espagne.
Les Français, nous étions à peu prés la moitié des internés. Venaient ensuite les Belges. En 1942 c'étaient les Polonais qui étaient les plus nombreux dans le camp. Ils ont quitté le camp vers la moitié de 1942.

Parmi les internés il y avait toutes les classes sociales qui puissent exister, de l'officier supérieur à l'anarchiste venu en France après la guerre d'Espagne [puis] repassé en Espagne pour rejoindre les Forces Françaises. Des professeurs, des Docteurs, des Ecclésiastiques etc…
Parmi tous ceux qui sont passés, il y avait ceux --la plupart -  qui avaient le feu sacré. La France occupée, la famille en danger. Il y avait ceux qui passaient par conviction philosophique, ceux qui ne pouvaient pas rester en France (Résistance, Service du travail obligatoire). Il y avait même des repris de justice. J''en ai connu un qui, je suis certain, a dû faire du travail sérieux en France, s'il a mis, comme je le crois, sa science et son courage au service du pays !
Et puis il y avait les autres.

A Madrid quand nous sommes passés à l'interrogatoire d'Etat Civil, l'interné qui était devant moi a donné comme réponse quand on lui a demandé sa nationalité : « apatride » !! »

Source: Plaquette Evadés de France PACA

« Un des grands problèmes était certainement le problème de l'eau. Dans chaque baraque tous les jours étaient désignés cinq ou six hommes pour faire la queue à la fontaine car dans le camp il n'y avait qu'un seul robinet qui coulait gros comme le doigt. Pour mon compte je n'ai jamais fait la queue au robinet, comme je ne buvais pas le « café » je le gardais pour me raser et boire. J'en buvais  très peu, ayant, dés les premiers jours de mon arrivée dans le camp, des coliques qui à la longue sont devenues la « Mirandite », et plus tard la dysenterie !
La queue [pour l'eau] commençait le matin à 5 h 00, car la nuit, l'eau était coupée. L'eau était stockée dans des boites de conserves, les grand bidons à cigarettes ou de graisse végétale, (car la cuisine [utilisait de la] graisse « végétaline » américaine, et par quelques mystérieuses circonstances , [les bidons] étaient donnés ou échangés dans le camp).

Les cuisines étaient au fond du camp. Chauffage au bois, beaucoup de ce bois d'ailleurs passait dans les baraques et servait au chauffage et cuisine. Dans de grandes rosières en fonte, les haricots, pommes de terres, lentilles, pois chiches étaient versés direct du sac, cuits, assaisonnés, égouttés (?) et servis à la « perolle ».

La nuit les cuisines étaient fermées, mais elles n'étaient pas silencieuses pour autant. Une myriade de rats remontant par les égouts qui se déversaient dans l'Ebre, se disputaient les reliefs et le gras des « perolles » qui n'étaient peut-être pas encore lavés. Le lendemain elles devaient certainement être propres.

Les cuisiniers Espagnols et volontaires du camp (place de choix certainement, de l'eau et de quoi manger !!) étaient aussi douteux que les cuisines. Si quelques amis du camp sont passés par les cuisines, qu'ils m'excusent, c'est peut-être les 25 ans qui nous séparent de ces heureux jours qui, avec le temps, me donne cette impression !! »