« Les lettres que je n'ai jamais écrites », par JC. Montagné.

(autoédité)

Un récit qui, sous une forme épistolaire, relate ses mois d'internement (à Figuerido notamment), mêlant l'humour à la dérision, un forme d'écriture qui ne cache cependant pas les souffrances endurées. Et les espoirs déçus.

André LEMAIRE raconte son évasion par l'Espagne, en février 1943

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"Samedi 1er mai - Libertad !



Réveillés à 2 heures et demie, on nous a tout aussitôt délivré les vivres du voyage. Un voyage sûrement court puisque nous partons en hôtel. Par personne effectivement deux petitsi pains, 200 grammes de corned beef, deux oranges. C'est subitement l'abondance et demain ce sera déjà presque l'Afrique; affaire de jours. Erreur ! ce qu'on vient de nous délivrer, ce sont des vivres pour les trois jours que va durer le voyage et nous n'aurons rien d'autre à manger, strictement rien d'autre.


Le doute assaille les premiers de colonne lorsque, tous rassemblés, nous sommes une cinquantaine devant les grilles de sortie, on nous met en rang et on nous passe les menottes. Il est 4 heures du matin.


De vieux wagons en bois nous attendent sur des voies ferrées que nous gagnons à pied, encadrés par des gardes, l'arme au poing. Liberté, avez-vous dit ? On s'y entasse à huit par compartiment, chaque compartiment étant flanqué de deux gardes : nous n'en bougerons plus jusqu'à Madrid, sauf les gardes que l'on relève. A six heures, le train s'ébranle et va cheminer, traînant sur des voies de garage, repartant à l'allure de l'homme au pas, abandonnant sa locomotive pour en prendre une autre, égrenant des heures qui deviennent vite infernales. La nuit tombe et l'un des deux gardes de mon compartiment sort un trousseau de clés : chic ! on va nous ôter les menottes. "Clic" fait effectivement mon bracelet droit qu'on ouvre, "clac" fait la barre de la banquette sur laquelle il vient de le refermer. Les vaches ...!


Changement de wagon à Madrid où nous arrivons à midi. Cette fois, c'est un wagon à bestiaux, sans paille, mais avec deux bassines, une remplie d'eau, l'autre vide, on devine pourquoi. Plus de gardes, mais la porte se referme et le demeurera deux jours entiers. Par la petite lucarne, les noms des gares défilent : Aranjuez, Viilalacanàs, Allezar, Albacette, Murcie et puis Totana où les portes s'ouvrent : nous sommes le mardi 4 mai et il est midi.


Marche à pied à nouveau, enchaînés une nouvelle fois, en direction d'une grande bâtisse un peu à l'écart de la ville et que nous atteignons bientôt.


C'est un couvent désaffecté, mais Dieu s'est arrêté à Murcie, il est descendu du train et nous venons sans le savoir d'arriver dans la prison la plus meurtrière d'Espagne. "

MARDI 4 MAI - TOTANA.


« Sitôt arrivés, sitôt séparés et mon groupe se retrouve en file indienne dans un patio, tête et crâne nus sous un plein soleil, devant une bassine de soupe qui lentement refroidit, devant 17 gars affamés. On nous délivre des gamelles; la mienne est tellement attaquée par la rouille qu'elle en est poreuse. Pas de cuiller. Et on attend, on attend. Deux camarades successivement tombent en syncope et ce n'est que lorsque le troisième s'effondre que nous avançons. La soupe est un jus noirâtre dont les cochons ne voudraient pas; quelques févettes y baignent et la couleur s'en explique lorsque les deux louches réglementaires tombent dans ma gamelle; ce sont des charançons, des boules entières de charançons agglomérés. Peu importe, à toute allure, je la bois, goulûment et tout y passe, charançons compris; c'est presque bon, tant j'ai faim.


Une salle du premier étage, ancien réfectoire je suppose, nous accueille ensuite; nous y sommes environ 200 sans paillasse, ni couverture, mais au fond de la salle, il y a cette fois-ci des latrines et quelques lavabos, sans eau bien entendu. A peine arrivés que déjà on nous fait redescendre pour subir une désinfection; en slip et couvert de mouches, j'ai froid et pourtant il fait chaud.

La faim ne va plus me lâcher et je vais tout finir de vendre pour croquer de temps en temps nougat ou figues sèches qui sont en vente à la coopérative, à défaut d'aliments plus consistants.

Tout va y passer, jusqu'à mes chaussures échangées contre une vieille paire d'espadrilles et une poignée de pesetas. Une seule chose sera épargnée, mon portefeuille avec toutes les photos de famille qu'il contient, unique témoignage maternel qui me relie désormais au passé.


Les semaines défilent. Avec la vermine en prime, la dysenterie ne me lâche plus tandis que par un effet de balance, la faim m'abandonne; plus rien ne passe ou plus exactement tout s'en va, mes forces avec. Fin juin, je suis affalé dans un coin à la porte des latrines que je ne quitte plus : ça finit par alerter l'administration que relançaient jusqu'ici, sans succès, mes plus proches compagnons, elle m'attribue une paillasse, me fait une piqûre et les soins s'arrêtent là. C'est mauvais signe, .quatre d'entre nous ont déjà suivi le même cursus et sont morts. Je vais être le cinquième …


Non, je ne le serai pas ! Deux gardiens viennent me prendre sur un brancard et me transportent dans une ancienne cellule de moine. On va enfin me soigner.


A l'intérieur de la cellule, petite pièce obscure d'où les prières se sont depuis longtemps enfuies, une caisse en bois,, longue et étroite à demi remplie de paille est ouverte. Ce n'est pas ? ... si ! Horreur ! C'en est un et le couvercle est appuyé au mur. Je panique pendant qu'on me couche dans la caisse et m'y abandonne. Je vais y rester deux jours entiers, attentif à ne pas me laisser aller à dormir trop profondément, à ne pas m'évanouir, à ne pas risquer, Seigneur ! de ressembler à un mort. Le troisième jour, je parviens à me hisser hors de la caisse pour retomber de l'autre bord et ramper vers la gargoulette d'eau qui traîne au coin opposé. J'en avale une longue rasade qui n'en finit plus, mon estomac ne le restitue pas, je me sens brusquement mieux.

La ronde me retrouve assis, appuyé le dos au mur, l'air heureux. Ecoeurés, deux gardiens me prennent sous les bras et me ramènent en salle commune. Nous sommes le 3 juillet. Dieu a atteint Totana.


Je retrouve une salle commune métamorphosée, car la Croix Rouge alertée à la suite d'une inspection consulaire, a fait parvenir sous contrôle, quelques vivres de première urgence ; des boites de corned beef et de jambon cuit, grosses comme de boites de peinture, du sirop d'érable, des pains entiers. Je me réalimente, la faim revient et se calme, mes forces grandissent et très vite, je peux retourner au patio. »

14 juillet 1943


Et puis, un jour, après bien des mois, arrive la liberté. Regroupés en convois, les prisonniers vont être dirigés vers des ports d'embarquement. La joie éclate.


"Nous quittons Madrid pour le Portugal le 17 août, à nouveau en wagons à bestiaux, mais cette fois, il y a des couchages, de la paille et des vivres. Il y a aussi deux gardes par wagon - rien n'est parfait - qui, le train arrivé à la gare frontière descendent sans un mot en laissant les portes grandes ouvertes. Le train redémarre.


II va alors se passer quelque chose d'inoubliable, quelque chose dont 50 ans après, je ressens encore l'intensité émotionnelle : des groupes entiers de Portugais massés le long de la voie, hommes, femmes et enfants confondus, nous regardent arriver les doigts tendus, traçant le V de la victoire et, au fur et à mesure que le train avance, courent le long des wagons en nous jetant paquets de cigarettes, boîtes de sardines et de lait condensé, tablettes de chocolat. Deux larmes coulent sur mes joues et soudain, je réalise que depuis le 27 juillet 1940, je n'avais jamais plus pleuré.


Arrivés tard dans la soirée à Setubal, port au sud de Lisbonne, c'est dans la nuit que nous embarquons avec d'autres convois, sur les deux bateaux qui nous y attendent. J'embarque sur le « Sidi Brahim ».


L'aube nous trouve en mer, escortés par deux corvettes de chez nous : sur les quatre bâtiments flotte le pavillon français. A bord règne une sorte de recueillement silencieux; nous étions des pions, nous sommes redevenus des acteurs. "



Quelques jours plus tard, les Evadés de France sont à Casablanca.


« Pour ce qui me concerne, je signe un engagement dans la Marine et après un séjour de 4 mois à l'école Navale, me porte volontaire pour Arzew. On me dit qu'il y a là-bas des têtes bien sympathiques.
C'était vrai. »




Voici que se lève à l'horizon cette immense ambition pour laquelle ils avaient tout quitté : libérer notre FRANCE par les armes.

Près de la moitié d'entre eux vont mourir.

le « Sidi Brahim ».

Le couvent désaffecté de Totana, transformé en prison.

Arzew, près d'Oran -Algérie

André LEMAIRE en 1945

Aux commandes d'un SPITFIRE en 1951

Commandement du Bory en 1970

TBM Avenger 1956

Commandement du Bory en 1970

Aux commandes d'un TBM Avenger

APRES L'ESPAGNE...