« Le prix à payer pour avoir l'honneur de servir »,

d'après les écrits de

Roger Gérald BARTHELEMY


(Le texte et certaines des photos sont la propriété de Monsieur Barthélemy)

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APRES L'Espagne...

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Insigne de l'association des Evadés de France

« Je pénètre dans ce qui sera mon univers pour de longues semaines. Chaque compagnon de cellule se présente. Un prisonnier politique espagnol condamné a 40 ans de prison, un officier belge qui souhaite s'engager dans la Légion Etrangère française, trois juifs polonais, un juif français, trois jeunes français de la région de Vichy, deux Polonais évadés de France qui cherchaient à rejoindre l'armée Anders en Angleterre. Nous sommes 12 entassés dans une cellule de 10 m² équipée d'un vasistas de 1 mètre par 70 cm. A gauche de la porte, un lavabo très douteux au robinet qu fuit ; a droite le « trou », appelé WC. Le gardien soudoyé nous a autorisé à fixer une couverture qui protège des regards, mais pas des odeurs. Nous dormons à même le sol, sans couverture. Aucun objet n'est autorisé. On se dispute le plus petit bout de carton qui devient carnet de bord, pour ceux qui ont pu se procurer un crayon. Ni assiette, ni cuillère. Les repas nous sont présentés dans un grand chaudron. Réveil à 6 heures, bouillon infâme à 7 heures, visite de la cellule et distribution d'une petite boule de pain de la grosseur d'un orange. A midi, soupe, avec ma demi boule de pain et le soir, soupe, avec ma deuxième demi boule de pain.

Nous dormons a tour de rôle, car il n'y a pas assez de place pour s'allonger tous.

Les longues heures de veille sont autant d'heures de traque contre les punaises. Elles sont partout, sur les murs, au plafond. Leurs piqûres provoquent parfois des pustules. Les morpions s'incrustent partout. Les journées sont logues, rythmées par l'appel et les soupes. On parle, vie familiale, sport, vie professionnelle, politique, littérature. A la question « quand allons-nous être libérés ? », une seule réponse, entendue déjà cent fois « Mañana por la mañana… »

Si l'un d'entre nous se décourage, vite, on le réconforte. J'aime me retrouver seul, avec mes pensées : mes parents apparaissent, ma mère, mon père, mon frère. Je leur parle, je les vois, je fais le tour de notre maison, de chaque pièce. Je vois les objets familiers, les copains, les amis d'enfance.

LE « CARCEL MODELO » de BARCELONE

(…) «  Un dimanche après l'office, un calme étrange règne dans la prison. Les Français de la galerie ont décidé de réagir afin d'obtenir une amélioration de nos conditions de détention. Nous faisons face au groupe de gardien. Etant le plus jeune, on m'a placé au premier rang, estimant que les gardiens ne toucheraient pas à un très jeune homme. Après deux refus d'obéir à l'ordre de regagner nos cellules, les gardiens avancent en faisant tournoyer leur matraque. Frappé, je tombe, c'est le trou noir. Affolé, le directeur me fait transporter à l'hôpital civil de Barcelone. Le médecin parle français, il sera providentiel. Il me rassure, grâce à lui, je bénéficie d'un régime de faveur. Il écoute mon histoire, il peine à me croire… mais il ne peut rien faire de plus pour moi.

Un matin, deux carabiniers viennent me chercher et me ramènent au Carcel Modelo, mais pas pour longtemps. Dans la cour, deux fourgons stationnent. Plusieurs détenus attendent, nous prenons place et partons en direction de la gare centrale. Je suis séparé de mes compagnons de cellule à qui je n'ai pas pu dire au revoir. Je n'aurai plus de leurs nouvelles.

Deux jours et deux nuits de voyage, deux petites boules de pain et une orange par jour.


Nous arrivons à une gare. Je lis :
Miranda de Ebro. En cette fin de janvier 1943, je franchis le portail d'entrée de ce camp devenu tristement célèbre. »

« Après l'appel, on m'attribue une place dans une « baraque » où se trouve un groupe de Français. Quelques jours plus tard, je suis de nouveau transféré sur Barcelone, où je suis dirigé vers un immense bâtiment lépreux, sinistre, ancien monastère appelé « Palacio de Missions » , humide et glacial.


Le régime y est à peu près le même qu'au Carcel Modelo. Nous sommes 4 ou 5 dans la cellule. Souvent des départs, suivis d'arrivées…  Punaises, morpions, tondeuse, ciseaux, rasoir, désinfection, douches froides, les plaies qui ne guérissent pas, tout cela n'est pas nouveau !


Enfin, vers le 15 avril 1943, je suis libéré grâce à l'intervention de la Croix Rouge française a Madrid, du Comité France libre et des gouvernements alliés.


Libéré… oui… libéré… miracle !

Libéré. Ebloui, le cœur gonflé d'émotion, je respire profondément. Rendu au monde des vivats ; je regarde avec curiosité les gens dans la rue, les voitures, les taxis qui se croisent. Je retrouve le ciel, les arbres, les fleurs, les bruits de la ville, les rires. Ah ! Que c'est beau la Liberté !

Conduit par un délégué de la Croix Rouge à l'hôpital français, je suis accueilli par une infirmière. Douche chaude, savon, nouveaux vêtements. Demain, nous aviserons. »


« Allongé sur mon lit, je pense à mes parents… Dérangé dans mon rêve par le médecin, le diagnostic n'est pas fameux : 1m72, 50 kg.  J'en pesais 70 avant le passage de la frontière. Aux petits soins pendant une dizaine de jours, je récupère facilement. Cependant ma bronchite ne m'a pas quitté.

Au Consulat de France, je rencontre l'attaché commercial accompagné de sa femme. Elle me rhabille complètement. Peu de temps après je me mets a sa disposition pour rédiger et classer les fiches des Evadés qui arrivaient par leurs propres moyens ou sortaient des prisons et de Miranda. La Croix Rouge utilisait ensuite ces fiches pour établir les listes des candidats au départ pour l'Angleterre ou le Maroc.


C'est ainsi que fin avril 1943, un convoi est organisé en partance de Barcelone via Madrid en direction du Portugal. Long voyage de nuit, arrêt a la gare frontière (Valencia de Alcantara), contrôle nominatif. Accueil enthousiaste des portugais, sur le quai des tables sont dressées couvertes de café, de chocolat, de petits pains blancs, les civils nous serrent les mains, agitent des drapeaux français,, anglais, portugais. Mouchoirs et drapeaux bleu blancs rouge s'agitent et nous souhaitent bon voyage. Spectacle touchant, l'émotion est grande, joie partagée entre les Portugais et nous, misérables, démunis, mais la rage au cœur. La Patrie peut compter sur nous ! »

« Traversée du Portugal en direction de Lisbonne - Setubal. Encore quelques pas et nous serons à bord d'un bâtiment de ma Marine française, le Sidi Brahim, petit caboteur de commerce rescapé de la guerre de 1914/1918. Nous prenons place dans les endroits disponibles. Nous larguons les amarres. Bientôt c'est la haute mer. Un destroyer de la Marine anglaise nous escorte jusqu'à Casablanca.

Le lendemain, escorté de « deux chiens de garde », l'un anglais, l'autre français, nous nous dirigeons vers Casablanca, où nous attendent autorités civiles et militaires, musique, honneur, café, léger repas froid. Après les discours d'usage, départ en train vers Marrakech où nous arrivons en ce début mai 1943.


Nouveau départ pour la grande aventure de la Libération. Mais c'est une autre histoire, celle du combat que j'avais attendu et tellement souhaité.



Le passage des Pyrénées, les prisons d'Espagne, les souffrances physiques, morales étaient le prix à payer pour avoir l'honneur de servir. »


R.G. Barthelemy, novembre 1996.

CASABLANCA 1943

Le SIDI BRAHIM

Valencia de Alcantara

Le dimanche, la messe est obligatoire, écoutée depuis la galerie, dans le silence et au garde à vous. Sous l'œil vigilant des gardiens, avec en prime l'hymne espagnol ponctué par « Viva España, España granda, libra. Viva Franco ! »